Je reprends du service en cette veille de 1er mai après m’être accordé une semaine pleine de pause politique. Il n’en fallait pas moins pour reconstituer quelques forces et se remettre en selle. Me voici donc prêt à repartir au front.
Des fronts, il n’en manque pas. Macron en ouvre des dizaines à la fois. C’est à ce prix qu’il peut continuer à avancer. Sans doute sait-il que s’il marque une pause dans le rythme des réformes qu’il a décidées, il peut perdre l’équilibre et vaciller. Car nul ne peut ignorer sa fragilité. Même pas lui.
Si tout semble indiquer qu’il n’a pas le moindre doute, Macron sait bien que les conditions de son accession au pouvoir ne signifient pas une adhésion à son programme. Lequel est d’ailleurs dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Disons que de Sarkozy, Hollande et Macron, le dernier est peut-être le « meilleur élève » de la Commission Européenne. Derrière l’illusion du renouveau, Macron agit en France comme une troïka à domicile qui impose la casse de notre Code du Travail et le démantèlement méthodique de nos services publics. Macron n’a d’inventivité qu’en matière de politique politicienne. Oui, en moins d’un an, il aura su s’imposer comme le chef objectif de la droite, sans le dire, récupérant au passage toutes les brebis égarées jusqu’au Parti Socialiste converties depuis trop longtemps déjà au libéralisme et au dogme de la concurrence libre et non faussée.
Sur le fond, rien de nouveau en fait : casse du code du travail fragilisant les salariés face au licenciement, préférence assumée pour les plus riches de ce pays à qui Macron distribue des milliards sans contrepartie – et malgré l’accroissement des inégalités – pendant qu’il impose un plan d’austérité sans précédent à la sécurité sociale, taxe lourdement les retraités et fait croire aux salariés que leur pouvoir d’achat augmente, suppression des contrats aidés et des postes de fonctionnaires, politiques d’austérité budgétaire imposées alors que nos services publics craquent de tous côtés, que celles et ceux qui y exercent souffrent de ne pas avoir les moyens de faire correctement leur travail, la sélection instaurée à l’université faute d’investissements suffisants pour adapter le nombre de places au nombre d’étudiants, le libre-échange et la concurrence imposés par pure idéologie et contre tout bon sens, une politique dure avec les migrants et demandeurs d’asile qui se charge de rendre plus difficile l’accueil dans notre pays sans jamais se poser la question de savoir comment nous pourrions éviter à ces milliers de personnes de devoir quitter le leur… De tout cela, Macron n’a strictement rien inventé. Il est directement inscrit dans le sillage de Sarkozy et Hollande mais il essaie de faire « mieux » qu’eux aux yeux de la Commission de cette Europe censée nous « protéger » mais dont chacun voit désormais qu’elle ne protège que les forts, les multinationales, les détenteurs de capital et les pollueurs professionnels contre l’intérêt général, l’écosystème et les droits sociaux. Parce que dans une économie mondialisée et financiarisée il faut être « compétitif » et que les termes de la compétition se résument par « vendre beaucoup » et « produire pas cher », tout passe à la broyeuse et il faudrait en plus que ça donne le sourire ! En avançant sur tous ces fronts en marche forcée, Macron défait la France et dispose pour le faire d’une majorité fièrement zélée face à laquelle, la France Insoumise ne cesse et ne cessera d’émettre des propositions alternatives crédibles.
Depuis quelques mois, la contestation sociale s’enracine dans de nombreux secteurs de la société : salariés du privé qui subissent les conséquences de la casse du Code du Travail, personnels des EHPAD, fonctionnaires qui souffrent de ne pouvoir mener à bien leur mission de service public faute de moyens, contrats aidés supprimés, étudiants, lycéens et professeurs mobilisés contre la sélection à l’université et la réforme du baccalauréat, cheminots qui a leur tour se voient imposer la concurrence de force et en dépit du bon sens…
Incontestablement, les ingrédients sont sur la table pour une convergence qui imposerait une autre politique face à Macron et son monde. C’est d’ailleurs la principale frustration alors que nous arrivons au premier anniversaire de l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron : que de temps perdu à poursuivre les vieilles lunes libérales ! Qu’aurions-nous pu faire de tellement plus ambitieux et enthousiasmant en une année ? Le Peuple serait en train de refonder ses institutions par la Constituante, se réappropriant ainsi la politique. Le partage des richesses aurait été engagé par une réforme fiscale en profondeur qui aurait permis à celles et ceux qui gagnent moins de 4 000 euros par mois de payer moins d’impôts, ainsi qu’aux PME tandis que la progressivité et l’effort de répartition aurait été amélioré. Le SMIC aurait été augmenté. Nous serions en train de négocier avec nos partenaires européens une sortie des traités qui fonctionnent désormais comme une camisole de force contre les peuples. Nous aurions pris des mesures de protectionnisme solidaire et engagé la planification écologique comme grand projet d’intérêt général pour tous les secteurs de la société. Au lieu de quoi, nous croupissons dans cette impasse dans laquelle Emmanuel Macron nous enfonce un peu plus chaque jour.
Le conflit à la SNCF est particulièrement significatif. Le gouvernement prétend mener la réforme pour « améliorer le service » et utilise la dette de la SNCF et le statut des cheminots comme arguments pour justifier sa réforme. En fait, il n’en est rien. Encore une fois, Emmanuel Macron n’a rien inventé. Il applique simplement les directives européennes qui prônent la concurrence libre et non faussée partout et tout le temps et qui doivent aboutir à l’ouverture à la concurrence de la SNCF. Pour les idéologues de la Commission Européenne, la concurrence est la solution à tout ! Peu importe qu’au Royaume-Uni, l’ouverture à la concurrence du rail ait fait bondir le prix des billets de 27%, que les ménages consacrent jusqu’à 14% de leurs revenus mensuels au transport et que 2 sur 3 souhaitent la renationalisation du rail. Peu importe que la concurrence n’apporte pas les effets recherchés. Ils sont prêts à tout pour l’imposer. Peu importe que la libéralisation du fret ferroviaire soit une aberration écologique alors qu’il serait urgent de faire en sorte que les marchandises circulent sur des rails plutôt que sur la route. Cela va jusqu’à la création d’un marché de façon complètement artificielle. Regardez par exemple ce qui s’est fait dans le secteur de l’énergie : lorsque l’on a ouvert à la concurrence, les acteurs privés arrivés sur le marché ne disposaient pas des moyens de production d’énergie pour rivaliser face à l’opérateur historique EDF, détenteur d’importants moyens de production. Qu’ont fait les idéologues de service ? Ils ont imposé à l’opérateur historique la revente à prix fixé de sa production à ses concurrents pour qu’avec sa production ils viennent lui faire concurrence ! Comprenez bien : c’est aussi absurde que si un boulanger qui avait investi dans son fournil et les moyens de produire son pain voyait arrivé devant sa boulangerie quelqu’un qui rachète un local commercial vide, y inscrit « Boulangerie » sans le moindre four et qu’il devait lui vendre une partie de ses baguettes pour qu’il puisse le concurrencer avec son propre pain !
Macron nous dit qu’il n’y aura pas de privatisation de la SNCF. Pourquoi les députés de la majorité ont-ils refusé l’amendement de la France Insoumise qui proposait qu’on indique clairement que le capital soit « incessible » ? Chacun se souvient qu’on nous disait la même chose avec GDF, qu’il n’y aurait pas de privatisation. On connait la suite de l’histoire…
L’argument de la dette de la SNCF n’en est pas un : cette dette est d’abord et avant tout un héritage historique qui date d’avant la création de la SNCF lorsque l’on a regroupé plusieurs sociétés privées. Mais surtout, qui l’a creusée sinon l’État et les dirigeants de la SNCF dont certains sont aujourd’hui aux manettes de cette réforme ? Pendant des années, on a trop investi dans les lignes à grandes vitesses au détriment des petites lignes. Quant aux partenariats publics-privés, ils continuent de creuser le déficit. Dans le cas de la ligne Bordeaux-Tours, sur les 7,5 milliards d’investissement, la puissance publique a investi plus de 5 milliards. Le reste a été investi par une filiale du groupe Vinci. C’est pourtant cette seule filiale qui bénéficiera pendant les 44 prochaines années des péages de la ligne. Cette ligne coûte 250 millions par an à la SNCF.
Quant au statut des cheminots, il est utilisé pour diviser : regardez-les ces privilégiés qui ont un statut alors que vous cumulez les CDD ! A quel moment parle-t’on des raisons profondes de l’existence de ce statut, des conditions pénibles du travail de cheminot ? Plutôt que de jalouser celles et ceux qui ont un statut, pourquoi ne pas exiger le même traitement pour soi ? C’est tout l’art des puissants : faire en sorte que les gens se battent entre eux et ne voit pas les vrais privilèges, nombreux, qui se situent tellement plus au-dessus des considérations qui les occupent. Macron dit qu’il ne touchera pas au statut des actuels cheminots mais que les prochaines embauches ne se feront plus au statut. Il pense que c’est un argument pour faire taire la gronde. Macron n’a pas compris que les cheminots ne se battent pas pour eux-mêmes mais pour une certaine idée du service public.
Demain, quand les acteurs privés arriveront sur le marché, ils ne s’occuperont que de rentabilité. Comment garantir que des petites lignes ne fermeront pas et que le service ne se dégradera pas ou ne se désorganisera pas ? Sinon, comment expliquer que les fameux « cars Macron » ne desservent pas les zones qui ne sont pas rentables ? Cette réforme imposée de la SNCF ne concerne pas que les cheminots qui sont en tête de la mobilisation. Elle nous concerne toutes et tous. C’est une bataille d’intérêt général qui se joue en ce moment.
A l’heure qu’il est, il serait tellement plus urgent de reconstituer un pôle public du rail outil de la planification écologique plutôt que d’appliquer bêtement des directives absurdes en faisant croire que ce serait le bon-sens alors qu’il n’en est rien.
Face à la mobilisation et aux arguments rationnels qui lui sont opposés, Macron a choisi sa stratégie : l’affrontement et le désordre partout. Sur la SNCF, il assure qu’il ira jusqu’au bout, sourd aux propositions qui lui sont pourtant formulées. A l’université, il envoie les CRS. Il organise les conditions du désordre là où il y a pourtant la place pour la discussion et la concertation. Tout cela pour pouvoir donner des gages à cette droite dont il veut désormais être le chef. En parallèle, il est passé à l’offensive médiatique avec deux rendez-vous télévisuels qui n’auront rien apporté sinon l’image d’un Président enfermés dans ses propres certitudes. C’est encore cela qu’il a donné à voir quand il parle de « l’Europe, ce vieux continent de petits bourgeois ». Plus il se lâche, plus il donne à voir la déconnexion totale du milieu dans lequel il évolue avec la réalité vécue par des millions de français.
Quant à la plupart des grands médias, ils passent plus de temps à insister sur les conséquences négatives de la grève et du mouvement social que sur les causes elles-mêmes. Combien de temps consacré à parler de la pénibilité de la grève pour les usagers ? Combien de temps consacré aux causes de la grève et aux conséquences à venir de la réforme pour les usagers ? Après quoi, ils servent des sondages qui donneraient à voir que les français ne soutiennent pas la grève ! Faisons un essai : si, pendant une semaine entière, les médias décryptaient vraiment et de façon contradictoire la réforme et ses conséquences pour les usagers ainsi que la méthode du gouvernement face aux cheminots, il y a fort à parier que les français seraient bien plus nombreux à soutenir le mouvement. D’ailleurs, ils sont déjà nombreux à le faire. Il suffit de voir l’accueil réservé aux cheminots ou aux militants syndicaux et politiques aux abords des gares où ils prennent le temps d’expliquer leur lecture de la réforme aux usagers. Le gouvernement a besoin de mettre en scène un conflit entre les usagers et les cheminots. La bataille de l’opinion doit nous permettre de repositionner le conflit là où il se trouve vraiment : entre le gouvernement d’une part et les usagers et cheminots ensemble d’autre part.
Face à la méthode du rouleau compresseur employée par Emmanuel Macron et face aux tentatives multiples de division des français pour faire passer les réformes, il y a urgence à fortifier et donner à voir la convergence de l’opposition populaire à Macron et son monde. Elle est là, sous nos yeux, présente. Elle s’exprime de façons diverses, citoyennes, syndicales, politiques. Emmanuel Macron impose le rapport de force. C’est sa méthode. C’est lui qui l’a choisie. Face à lui et ses alliés objectifs, nous ne pourrons emporter la bataille de l’opinion qu’en faisant l’impeccable démonstration de notre capacité à proposer sans cesse des choix alternatifs. Dans le même temps, il faut mobiliser et faire converger tout le monde. Il n’est plus l’heure des mobilisations sectorielles où chacun défend sa cause particulière. Privé, public, étudiants, lycéens, chômeurs, retraités… tous subissent les conséquences des mêmes politiques.
C’est cette opposition populaire qu’il faut déployer. Celles et ceux qui sont organisés, qui ont l’habitude des mobilisations, doivent sans cesse réfléchir aux conditions de l’inclusion du grand nombre dans les mobilisations. Désormais, une mobilisation est aussi réussie quand elle voit descendre dans la rue, celles et ceux qui n’étaient jusqu’à présent jamais venus, qui pensaient qu’ils n’auraient jamais à venir.
Le mois de mai, offre déjà de belles occasions. Dès le 1er avec les traditionnelles manifestations de la fête des travailleurs. Mais aussi le Samedi 5 mai avec « La Fête à Macron » à 14h00 à Paris Opéra, qui doit pouvoir rassembler très largement et au-delà des organisations. Que chacun vienne avec ses raisons de venir. Nous devons nous serrer les coudes pour lui faire face et lui dire « Stop Macron ! ». La France Insoumise se tient à l’entière disposition du mouvement. Pour filer la métaphore du « pot au feu », je sais que tous les ingrédients sont désormais sur la table. Il nous reste à cuisiner la bonne recette. Au travail, et que tout le monde s’y mette !