Magie du calendrier ?
Ainsi que l’on pouvait s’y attendre, le savon qu’Emmanuel Macron a passé aux français mobilisés contre sa politique en guise de vœux pour la nouvelle année a renforcé le mouvement des Gilets Jaunes.
Il se poursuit et s’étend. Il y a fort à penser que ces nombreux français qui avaient décidé de mettre le gilet jaune sur le pare-brise de leur voiture vont désormais vouloir le mettre sur leur dos. Macron s’est laissé aller à penser que le changement d’année aurait raison de la mobilisation, comme par magie.
Il avait décidé qu’en 2019 ce serait fini juste parce qu’il l’avait décidé ! Loupé. Les français sont une large majorité à souhaiter que le mouvement se poursuive et les manifestations de l’Acte VIII de ce samedi ont connu un regain de mobilisation.
On peut se retrouver chaque samedi pour faire les mêmes commentaires : il n’y aura pas de retour au calme sans une réponse politique à la hauteur des justes revendications des Gilets Jaunes.
Elles se concentrent désormais sur deux grands aspects : l’exigence d’une meilleure répartition de l’effort entre tous par la justice fiscale et la refondation de nos institutions. Ces exigences sont en rupture avec le cap que Macron entend maintenir.
Toute tentative de biaiser avec ces profondes exigences populaires renforce le mouvement.
Un grand « cause toujours ! » en guise de grand débat
Avec l’organisation de son « grand débat », Macron espère occuper les français pendant plusieurs mois et ainsi mettre la contestation populaire sous le tapis alors que celles et ceux qui souffrent attendent des réponses immédiates.
Le temps de la contestation devrait, selon lui, laisser place au temps de la concertation. Mais lors de ses vœux, le monarque présidentiel n’a fait aucune concession au mouvement des Gilets Jaunes soutenu par une majorité de français qu’il s’est contenté de décrire comme une « foule haineuse ».
Pire, il a indiqué qu’il entendait maintenir le cap et poursuivre les réformes au rythme initialement prévu. Dès lors, chacun connait le résultat du grand débat : le néant. Rien de ce qui pourrait sortir de celui-ci ne serait en mesure de modifier la trajectoire de Macron, de son propre aveu lors de ses vœux !
Ce « grand débat » que Macron entend proposer aux français est l’équivalent des « grandes concertations » auxquelles il a pris l’habitude de convier les syndicats dans les premiers mois de son quinquennat.
Lors de la discussion sur les ordonnances travail, un responsable syndical de la CFE-CGC avait parfaitement résumé les choses : « nous sommes cordialement reçus, poliment écoutés mais absolument pas entendus ».
Macron fait de la com. Il ne veut pas faire. Il veut donner le sentiment de faire. Ce n’est pas la même chose. Ainsi il entend occuper les français dans un « grand débat » uniquement pour avoir le temps de reprendre son souffle et de pouvoir dérouler à nouveau son programme bien tranquillement.
Pas étonnant que les français n’entendent pas se laisser rouler avec ce simulacre de démocratie participative ! Le véritable grand débat a déjà eu lieu et les Gilets Jaunes n’ont pas attendu Emmanuel Macron pour l’organiser. Il a eu lieu sur les ronds-points de France et dans ces multiples assemblées citoyennes.
Il a tellement eu lieu que la liste des revendications qui en résulte est établie depuis plusieurs semaines ! Mais comme elle contredit ses plans, Emmanuel Macron refuse d’en prendre acte. Il pense toujours qu’il peut reprendre la main.
Il est de plus en plus seul à le penser. Les français ne veulent plus seulement être écoutés. Ils veulent pouvoir décider. C’est le sens des revendications démocratiques des Gilets Jaunes.
Macron veut réformer la Constitution sans le Peuple
Habitué des fourberies, appréciez le plan de Macron : à l’été 2018, l’affaire Benalla avait éclaté en pleine discussion sur la réforme constitutionnelle. Macron avait alors été obligé de la mettre au congélateur avec l’intention de la ressortir en 2019.
Aujourd’hui, il entend utiliser le « grand débat » en réponse aux Gilets Jaunes pour la ressortir en faisant croire qu’elle constituerait la réponse aux revendications démocratiques du mouvement.
Ainsi, on parle déjà de la possibilité d’un référendum à choix multiples, pourquoi pas pendant les élections européennes, qui permettrait de faire valider quelques propositions qui, sans le dire, correspondraient au contenu de la réforme constitutionnelle à ressortir des placards et le tour serait joué.
Habile, n’est-ce pas ? C’est signé Macron ! Et plusieurs députés de La République En Marche s’agitent déjà tels des publicitaires pour vous faire croire que leur yaourt est précisément celui dont vous avez besoin !
Mais, plutôt que de ressortir cette réforme constitutionnelle étriquée et antiparlementaire qui viserait à réformer une nouvelle fois la Constitution en contournant le peuple, c’est bien la 5ème République tout entière qui est mise en cause par ce mouvement.
Stanislas Guerini, le chef du parti macroniste a déjà dit qu’il considérait le référendum d’initiative populaire (RIC) « dangereux ». Comment obtenir une capacité d’intervention populaire digne de ce nom de la part d’élus qui considèrent comme « dangereux » un mécanisme institutionnel qui permettrait au peuple lui-même de proposer ou d’abroger une loi ?
La République En Marche a peur du peuple. Or, le peuple n’est pas le problème. Il est la solution.
Huile sur le Feu ?
Ce samedi soir, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux réagissait à l’attaque du ministère dont il occupait les locaux par un engin de chantier utilisé par des manifestants.
Il rappelait alors que l’essentiel des Gilets Jaunes respectent les règles. Pourquoi voyait-il donc la veille en eux des « agitateurs », insultant ainsi l’ensemble des français mobilisés contre la politique du gouvernement dont il est le porte-parole et ceux qui les soutiennent ? Pourquoi, dans le sillage de Macron lors de ses vœux a-t-il cru bon de mettre de l’huile sur le feu ?
Résumer les Gilets Jaunes à la violence, c’est mépriser la majorité des français qui soutiennent ce mouvement. Si la violence en marge des manifestations est bien réelle et doit être traitée, la place qu’elle prend dans le débat politico-médiatique est sans commune mesure avec celle qu’elle occupe véritablement dans le mouvement.
Comment ne pas voir que cette violence qui monte est aussi le fait de l’exaspération et de l’impatience de toutes ces personnes en souffrance auxquelles le gouvernement ne répond pas ? On ne compte plus les dérapages d’éditorialistes, de syndicalistes policiers, de membres du gouvernement et de la majorité qui, parce que La France Insoumise soutient le mouvement des Gilets Jaunes, aiment à dire qu’elle met de l’huile sur le feu et appelle à la violence.
Avec Jean-Luc Mélenchon et l’ensemble des élus et orateurs de La France Insoumise, nous avons toujours indiqué sans la moindre ambiguïté que nous n’étions pas favorables à l’usage de la violence en politique ni aux intimidations personnelles et physiques.
Ceux qui prétendent le contraire diffament les républicains que nous sommes. Même pour des raisons stratégiques, nous pensons que la violence n’est pas bonne pour le mouvement car elle le divise et dissuade le grand nombre d’y participer et de passer d’un soutien passif à un soutien actif.
Les mobilisations les plus réussies sont les plus inclusives, qui permettent au grand nombre de s’impliquer sans craindre pour soi ou pour les autres.
Condamnation à géométrie variable
Les injonctions contre la violence et les généralisations sont contreproductives. En lieu et place des dénonciations à géométrie variable de la violence, Macron ferait mieux de répondre politiquement aux exigences portées par le mouvement.
Oui, contrairement aux nôtres, les prises de position du gouvernement et de la macronie en général contre la violence sont à géométrie variable :
Pourquoi ce silence assourdissant face aux trop nombreuses victimes côté manifestants où l’on dénombre des morts et de très nombreux blessés grave ? Pourquoi aucun mot de la part du gouvernement ou de la majorité concernant les nombreuses violences policières injustifiées et indignes d’un Etat républicain ? Pourquoi ne parle-t-on presque exclusivement que du boxeur qui a frappé un policier (et il faut en parler !) et non pas du policier qui a boxé des manifestants sans justification apparente en marge de la mobilisation de Toulon ?
Trop souvent la macronie résume le mouvement des Gilets Jaunes à un mouvement violent, ce qu’il n’est pas dans son ensemble. Contrairement à eux, à La France Insoumise, nous ne confondons pas les violences policières qui sont le fait d’une petite minorité avec l’essentiel du travail des fonctionnaires de police qui gardent leur sang-froid et savent que leur mission n’est pas de tabasser des manifestants mais bien de faciliter et de permettre l’exercice d’un droit fondamental : celui de manifester.
La responsabilité des agissements des forces de l’ordre, qu’ils agissent avec soin ou qu’ils commettent des erreurs est d’abord politique et incombe à ceux qui donnent les consignes. La condamnation de la violence ne peut être utilisée à géométrie variable pour discréditer le mouvement. Pas davantage que les moyens de police et de justice ne peuvent être mis au service d’objectifs politiques.
Ainsi, quelle était la nécessité de l’arrestation arbitraire de Monsieur Drouet ? Pourquoi dans le pays des droits de l’homme, on subit un traitement différencié selon que l’on s’appelle Alexandre Benalla et que l’on soit proche du Président de la République ou Eric Drouet, figure du mouvement des Gilets Jaunes ?
Ce deux poids deux mesures permanent en tout et pour tout est un des ressorts puissants de la colère populaire. C’est même la motivation principale des Révolutions dans l’Histoire du pays.
Médias : Une critique constructive ou une contribution à la haine ?
Samedi en fin de journée, j’étais invité par la chaine BFM TV a donné depuis Lille mon appréciation de l’Acte VIII des Gilets Jaunes. Toute la journée durant, je recevais des photos et vidéos venues de toute la France attestant du regain de mobilisation et du caractère extrêmement bon enfant de la plupart des manifestations.
Ainsi pour ne citer que deux ou trois exemples, à Toulouse on a pu voir la Place du Capitole jaune de monde, à Marseille une belle manifestation sur le vieux-port ou à Lille, ainsi qu’en témoignent les photos et vidéos que j’ai moi-même postées au cours de l’après-midi, de magnifiques pancartes fraternelles ou encore un orchestre qui déclencha une chaleureuse farandole entre les Gilets Jaunes qui déambulait dans la ville.
Bien évidemment, toutes ces belles images n’annulent rien des dégradations dont BFM TV (qui ne fait pas exception en la matière) rendait compte depuis de longues dizaines de minutes. Mais pourquoi résumer la journée aux poubelles et scooters brulés ? Est-ce un travail de journalistes honnêtes, est-ce un choix éditorial en cohérence avec le moment que de consacrer l’essentiel du temps d’antenne à rendre compte des violences au sein du mouvement des Gilets Jaunes quand cette violence n’est pas l’essentiel de ce mouvement ? J’interroge.
Je me suis permis, avec le calme et l’état d’esprit constructif que j’essaie de maintenir en toutes circonstances, d’en faire la remarque à Thomas Misrachi, le journaliste qui m’interrogeait alors. Lequel ne l’a pas supporté. Je pense qu’il a tort et qu’il devrait lui-même, comme l’ensemble de la profession s’interroger sans cesse sur ce décalage persistant qui explique que les Gilets Jaunes se soient eux-mêmes mis en colère ces dernières semaines contre les médias, sans qu’aucun parti politique ni même le mouvement de La France Insoumise ne les y appelle.
J’ai rappelé que, pour beaucoup de manifestants, la mobilisation est un effort considérable. Quand on connait les fins de mois difficiles des personnes mobilisées au sein du mouvement des Gilets Jaunes, on sait qu’il leur en coute d’être présents à chaque manifestation, de faire parfois les nombreux kilomètres pour se rendre sur les lieux de rendez-vous etc…
Aussi, quand ils rentrent chez eux et allument la télévision, j’estime qu’ils sont en droit d’attendre des chaines d’information un juste retour de ce à quoi ils ont contribué et non pas une manipulation de l’information visant à ne traiter la journée de mobilisation qu’au travers des images de violences survenues en marge de celles-ci.
Loin de contribuer à l’apaisement que beaucoup disent rechercher, cela contribue au contraire à attiser la haine et la violence précisément parce que ceux-là donnent l’impression de n’accorder leur attention qu’à la violence.
Il s’agit évidemment là aussi, de venir au renfort d’un pouvoir aux abois qui espère que ces images diffusées en boucle discrédite le mouvement et annule tout ce qu’il porte en lui de meilleur. Peine perdue. Pendant que j’étais interviewé dans une toute petite case en bas à droite de l’écran, la chaine choisissait de continuer à diffuser des scènes de violences urbaines pour illustrer mon propos.
Je n’étais pas au courant avant que l’on me montre plus tard dans la soirée la vidéo de mon intervention. En quelque sorte, le propos que j’y tiens dénonce et illustre précisément le procédé auquel la chaine est en train de s’adonner pendant qu’elle m’interroge. Au total, l’ensemble sert de démonstration si j’en crois les chiffres de partages de la vidéo sur les réseaux sociaux.
Sur le plateau, un intervenant présent depuis un long moment apportait sa contribution au débat en indiquant que le problème des manifestations était qu’elles n’avaient pas de mots d’ordre ! On croit rêver. Chacun peut se faire son avis sur les revendications des Gilets Jaunes mais comment justement ne pas voir la récurrence des mots d’ordre qui circulent ? Chacun peut se faire son appréciation particulière du slogan « Macron démission ! » mais n’est-il pas à lui seul le plus évident des mots d’ordre ?
Ces braves gens ne pourront éviter le moment venu de devoir traiter des véritables sujets sur leurs antennes comme par exemples : n’est-il pas temps que les riches soient solidaires ? Ou encore : n’est-il pas temps de donner au peuple les moyens de sa souveraineté ?
Cela tombe bien, ce dimanche-là, tout le monde s’est levé avec les sondages suivants : 77% des français favorables au rétablissement de l’ISF. 80% des français favorables au Référendum d’Initiative Populaire. Vont-ils tenter de nous faire croire que ces 80% sont des violents ?