Nous venons de vivre une journée historique. Beaucoup de records de températures ont été pulvérisés. Voyez comme quelques jours de canicule ont, par effets domino, des conséquences dévastatrices que l’on anticipe mal avant que l’épisode ne commence : panne dans les réseaux (transports, internet, électricité, eau…), conséquences sanitaires, sécheresses, mauvaises récoltes et (même si ce n’est pas l’essentiel quand la vie est en jeu) impacts économiques…
En Inde, les épisodes caniculaires ont amené à constater des changements inédits de comportements chez les animaux. Nos corps sont mis à l’épreuve, en danger. Les plus fragiles souffrent davantage et chacun comprend dans son quotidien que quelque chose ne tourne plus rond.
Le phénomène est mondial, il se concentre de plus en plus dans le calendrier et il s’accélère : 78% des épisodes de fortes chaleur mesurés depuis 1947 l’ont été ces 30 dernières années. 40% se sont tenus depuis 2010. Le mois de juin 2019 a été le plus chaud jamais mesuré sur la planète. La canicule est l’un des nombreux symptômes de la catastrophe climatique en cours.
Ce n’est plus seulement un « changement climatique » si l’on veut bien considérer les conséquences, la trajectoire que nous prenons, le temps limité pour régler le problème et l’inaction de l’humanité comparativement à la radicalité de ce qu’il conviendrait de faire : c’est bien une « catastrophe ». Fonte du permafrost, élévation du niveau des mers et des océans, sixième extinction de masse des espèces, sécheresse… tout y est.
L’avantage de la canicule, c’est que comme elle envahit d’un coup d’un seul notre quotidien à tous, elle sonne l’alarme générale pour tous les autres phénomènes qui seraient moins directement perceptibles. Enfin, il n’est plus possible de parler de canicule à la télévision sans évoquer le changement climatique ! En somme, la canicule fonctionne donc comme un énième signal d’alarme, qui nous dirait : « eh oh, l’humanité, réveillez-vous ! Vous êtes juste en train de courir à votre propre perte et d’en réunir les conditions. »
Combien de rapports scientifiques faudra-t-il encore ? Jusqu’à quelle température faudra-t-il que le thermomètre monte ? De quelle ampleur devra être la catastrophe qui, enfin, nous ferait réagir ? Sommes-nous d’ailleurs obligés de l’attendre en souriant ? Puisque nous fonçons tout droit dans un mûr, sommes-nous contraints d’avoir le nez collé dessus pour nous en rendre vraiment compte ?
Les climatosceptiques disparaitront plus vite que l’espèce humaine. La prise de conscience du risque climatique se globalise. Certains n’en prennent toujours pas la pleine mesure, mais même ceux-là conviennent qu’il y a un problème.
D’après les scientifiques, il nous reste 10, peut-être 12 ans, pour inverser le cours des choses. Car évidemment, puisque notre activité en est la cause, nous pouvons être la solution. La Terre peut très bien se passer de l’espèce humaine.
Elle survivrait a des conditions climatiques qui ne permettraient plus notre survie à nous, les êtres humains. Mais ce n’est pas notre présence sur Terre en tant qu’espèce humaine qui pose problème. C’est la manière dont, en tant qu’espèce humaine, nous sommes organisés et l’impact de nos activités sur la planète qui ne conviennent pas.
Mais, comme un film qui tournerait en boucle, comme un véhicule lancé à vive allure que l’on n’aurait pas équipé de freins, un avion dont on n’aurait pas conçu la piste d’atterrissage, même avec une conscience aigüe de l’avancée de la catastrophe climatique, nous sommes trop occupés à faire tourner la folle machine pour nous rendre compte qu’il faut la stopper. Il faut la stopper et la changer d’urgence si l’on veut avoir une chance de survivre. Peut-on vraiment qualifier d’intelligente une espèce qui sait que ses activités la font courir à sa propre perte mais qui ne serait pas capable de les modifier à temps alors qu’elle dispose de tous les moyens pour le faire ?
Évidemment, au point où nous en sommes, la solution n’est pas dans nos comportements individuels. Je ne crois pas à l’écologie des individus dans ce contexte. Je ne crois pas à la contagion des initiatives individuelles ni que les petits ruisseaux aient le temps de faire de grandes rivières si nous avons 12 ans pour régler un problème mondial ! Bien sûr, les comportements individuels concourront à la solution. Mais il y a urgence à rompre avec tout un modèle. Un modèle que l’on ne maitrise pas en tant qu’individu, en tant que consommateur, en tant que simple adepte du recyclage, du manger bio et local et du déplacement en transports doux !
Ce avec quoi il faut rompre et rompre vite est bien plus ample. C’est le logiciel sur lequel toutes nos applications sont greffées. C’est la toile de fond de toutes nos activités. Voilà pourquoi le défi est d’autant plus considérable : il faut rompre et vite avec le commerce à tout prix, avec le productivisme, avec le libre-échange, avec le libre-marché, avec la concurrence libre et non faussée, avec la compétition, avec la compétitivité, avec la dictature de la finance, avec cette idée absurde que l’on pourrait croitre de façon infinie dans un monde qui connait des limites…
Bref, il faut rompre dans un temps limité avec à peu près tout ce qui régit notre quotidien. Facile, non ?!!
Certes, le fait qu’il n’existe qu’un écosystème compatible avec la vie humaine détermine un intérêt général qui dépasse tous nos désaccords (politiques, religieux…). Si ce sont d’abord les populations les plus fragiles qui subissent les conséquences du changement climatique, personne n’y échappera en définitive si l’on ne change rien. Mais, tant que vous n’avez pas le nez collé au mur, tant que vous ne percevez pas le danger pour vous-même, en bon capitaliste, vous défendrez d’abord vos intérêts particuliers. Il fait plus chaud ? Investissons dans le marché de la climatisation pour faire du profit ! Le niveau de la mer monte ? Investissons dans le marché des canots et gilets de sauvetage !
Disons-le : il ne suffit pas d’avoir raison pour mettre tout le monde d’accord ! Ça se saurait. Les puissants, d’abord occupés à défendre leurs intérêts particuliers, ne vont pas consentir avec joie et bonne humeur à cette rupture salutaire. Pourtant il faut rompre. L’intérêt général doit donc soumettre les intérêts particuliers.
Mais ce n’est pas tout. Rompre ne suffira pas compte tenu de l’avancée de la catastrophe. Il faudra réparer les dégâts déjà causés. Et il faudra nous organiser autrement : production, distribution, consommation.
De quoi avons-nous véritablement besoin ? Comment le produit-on pour ne pas prendre à la nature plus que ce qu’elle peut reconstituer ni rejeter davantage de déchets qu’elle ne peut les absorber ? Si l’on ne fait plus la compétition pour stimuler nos économies, à quel jeu joue-t-on alors ? On coopère ? Autant de nouvelles formations, de nouveaux métiers, de savoirs-faire, de techniques à déployer. Autant d’emplois et d’activité pour que tout le monde participe à ce défi qui nous met toutes et tous au pied du mur par delà toutes nos différences.
Tout cela est déjà prêt, sous nos yeux, à portée de mains et de volonté politique, ne demande qu’à être travaillé. Mais rien ou presque de cela ne répond aux injonctions du marché et aux exigences du dogme de la libre concurrence bla-bla-bla. Alors comment fait-on ? Que fait-on ? Rien ?! Aujourd’hui, on jette à la poubelle des idées intelligentes pour satisfaire les besoins du « marché ». Il faudrait plutôt jeter à la poubelle les exigences du « marché » pour faire gagner les intelligences ! Nous pouvons faire tout ça. L’humanité a entre ses mains tous les outils. Qu’attendons-nous ?
Immense tâche, n’est-ce pas ? Et elle n’est
pas d’envergure locale, ni même nationale, vous en conviendrez. Alors
qui commence ? Car celui qui rompt la chaine le premier prend des
risques pour lui-même. C’est le fameux réflexe du journaliste quand vous
venez de déployer tous les bons arguments, le bon diagnostic et les
bonnes propositions et qu’il commence à s’impatienter :
« Oui, mais
si on fait ça, on se fera bouffer par les autres ? on ne sera plus
compétitifs ? Enfin ! Nous sommes dans une économie mondialisée ! Les
chinois bla-bla-bla… Avec vous, tout parait facile ! »
D’accord. Très bien Madame. Très bien Monsieur. Vous avez rauson. Soyons compétitifs. Continuons la compétition. Et dans 12 ans, quand il sera trop tard pour régler le problème, on fera la compétition des meilleurs innovations pour résister le plus longtemps possible au chaos qui nous guette puis nous disparaitrons. Ça vous va ?!
Bien sûr que, dans le scénario idéal, on mettrait « pause » à l’échelle planétaire. On arrêterait tout, un instant, à l’échelle mondiale, le temps d’un grand sommet historique et on conviendrait de mettre le vieux logiciel à la poubelle, tous ensemble en même temps, en reléguant la défense de nos intérêts strictement particuliers. Fini la compétition ! On ne joue plus. Fini le chacun pour soi ! Comme c’est beau…
Mais sinon ? Il faut bien que la chaine rompe quelque part ? Il faut bien que quelqu’un démarre, commence le mouvement, montre la voie et la mette en partage. Non ? S’il y a des canicules régulières (cette fameuse alarme qui sonne), peut-être que les conditions de la bonne contagion s’accélèreront !
La France, par exemple, pourrait le faire. Elle pourrait dire : ça suffit de respecter ces traités qui empêchent de faire autre chose que d’utiliser le vieux logiciel périmé de la concurrence et de l’austérité budgétaire ! Elle pourrait engager la planification écologique. Elle pourrait montrer que le protectionnisme solidaire et la relocalisation de l’activité ne sont pas un isolationnisme. Elle pourrait diriger toute l’énergie de son peuple vers la relève d’un défi considérable. Elle pourrait être la première à proposer de coopérer plutôt que de se concurrencer.
Sur tout l’échiquier politique aujourd’hui on se dit écologiste. Pour moi et mes amis de La France Insoumise, être écologiste ça veut dire se fixer la règle verte pour objectif en lieu et place de la règle d’or, rompre avec le modèle libéral, planifier la transition, relocaliser et mettre en partage par le protectionnisme solidaire, coopérer avec les peuples du monde entier. Pour d’autres, ça veut juste dire maintenir le modèle en place, le vieux logiciel, mais le mettre à jour, le verdir. Je suis sûr que ce n’est pas suffisant et que c’est une perte de temps. Il suffit de voir combien les accords de Paris ne sont pas assez ambitieux ou combien les politiques menées par ceux qui prétendent prendre en charge la question climatique aggravent le réchauffement.
Emmanuel Macron est un de ceux-là. Il se dit écologiste et nous n’avons aucune raison de croire qu’il n’est pas conscient de la catastrophe. Mais alors qu’il fait un pas en avant en proposant que l’on sorte du plastique, il en fait douze en arrière en ratifiant les accords de libre-échange climaticide, en refusant de stopper les subventions aux énergies fossiles etc… Emmanuel Macron aggrave le changement climatique quand il protège des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. Il fait de la communication. Il fait partie de ceux qui pensent qu’on peut se contenter de mettre à jour le logiciel mais qu’il ne faut pas le changer.
Est-il convaincu par le logiciel actuel ? A-t-il juste le vertige à l’idée de devoir en concevoir un autre de toute pièce ? N’est-il en effet pas plus rassurant et confortable de poursuivre la trajectoire sur laquelle nous sommes lancés plutôt que de devoir prendre un virage sévère ? S’il permet d’éviter le mur, moi, je préfère le virage sévère et inconfortable. Quand la pérennité de la vie humaine sur Terre est menacée, la radicalité devient sérieux et raisonnable, vous ne croyez pas ?
C’est un défi à relever que la catastrophe climatique. Le relever peut pourtant régler bien des problèmes à la fois (emploi, inégalités, fracture sociale…). Mais nous ne sommes pas tous d’accord à ce stade. Même l’écologiste Yannick Jadot croit que l’écologie peut être compatible avec le marché alors que Nicolas Hulot, lui, vient par exemple d’affirmer comme nous le disons, que le libre-échange n’est pas compatible avec le défi climatique.
Etre écologiste ne suffit plus à régler le problème. Le débat qui persiste entre celles et ceux qui se définissent comme écologistes, dont nous sommes à La France Insoumise, se résume ainsi : quelle écologie pour faire face à la catastrophe climatique ? Parce que nous n’avons pas la même réponse à cette question, le débat doit avoir lieu sans tarder. Il sera toujours utile.
Sinon pour parler à peine d’autre chose, cette semaine, en pleine canicule et malgré les mots très forts des scientifiques du GIEC et des jeunes de Youth For Climate venus avec Greta Thunberg à l’Assemblée nationale, les députés de la majorité qui les avaient applaudis le matin, ont voté le CETA l’après-midi ! Certes, il y a eu de l’abstention dans une proportion à laquelle nous sommes peu habitués.
Mais le CETA est néanmoins validé par l’Assemblée. Le CETA, c’est ce traité de libre échange entre l’Union européenne et le Canada qui, à rebours de ce qu’il faut faire contre le changement climatique, aggrave les émissions de gaz à effet de serre, procéde d’un dumping social et économique important, permet à des multinationales d’attaquer des Etats dans des tribunaux d’arbitrage si elles estiment que les lois de ces Etats contraignent leurs intérêts particuliers etc… Drôle de semaine donc. Semaine historique, sans doute. Même au beau milieu de l’été quand tout le monde pense à autre chose.
J’arrête là pour l’heure. En commençant à écrire ces mots inspirés par la canicule, je voulais au départ n’écrire qu’un tweet. Mais le voilà qui fait 14 000 caractères !
Bon et puis, de toute façon, demain tout reprend son cours normal, n’est-ce pas ? Il n’y aura plus de canicule jusqu’à la prochaine. D’avance bonne journée et tâchez de faire plaisir à Macron : soyez compétitifs ! Surtout, n’interrogez pas trop le sens profond de nos existences et de nos activités à l’aune de la catastrophe climatique qui menace la vie humaine : ça fait mal à la tête.
Non, plutôt demain, on recommence comme avant aujourd’hui., ça vous va ? Demain, il n’y aura plus la canicule. Et c’est peut-être ça, finalement, le problème !