Quelle est la bonne politique de santé publique face au Covid-19 et ses variants ? Depuis lundi soir, il n’est plus possible d’en discuter en France. Le monarque a parlé. Ce sera vaccinés ou confinés. Et si vous critiquez, vous serez rangés dans la catégorie « AntiVax ». Fermez le ban.
Alors qu’il avait lui-même déclaré et répété que le vaccin ne serait pas obligatoire et alors que la majorité parlementaire s’était engagée à ce que le fameux « Pass Sanitaire » ne soit pas étendu dans tous les domaines de la vie sociale au quotidien, c’est bien vers une forme d’obligation vaccinale généralisée qu’Emmanuel Macron emmène le pays. En effet, un consentement à ce point contraint est-il encore un consentement ? Pour enclencher l’opération, Macron a choisi un bouc émissaire : les soignants. Au début de l’épidémie, il les a envoyés sur le front de sa « guerre » contre le Covid, sans leur fournir l’équipement adéquat. On se souvient des sacs poubelles en guise de surblouses. A l’époque, il ne se souciait pas de savoir s’ils contaminaient les patients. Aujourd’hui, il en fait les principaux responsables de la contamination alors que les règles sanitaires dans le milieu hospitalier sont strictes. Une majorité de soignants est vaccinée. Plutôt que de convaincre de la nécessité de la vaccination, il menace de cesser de payer les derniers réfractaires.
Depuis l’allocution d’Emmanuel Macron, le gouvernement se félicite de la montée en flèche des prises de rendez-vous pour la vaccination. Depuis le Tour de France, Macron lui-même a salué la « prise de conscience » des Français. Mais de quelle prise de conscience parle-t-il ? Certes, la couverture vaccinale va augmenter. Mais tout le monde sait que cette hausse des prises de rendez-vous ne correspond pas à un accroissement de la conviction sur le vaccin et sa nécessité. Pour beaucoup, les gens prennent rendez-vous pour accéder au Pass Sanitaire et ne pas avoir à subir les restrictions de libertés dans tous les domaines de la vie quotidienne : cafés, restaurants, centres commerciaux, cinémas et autres lieux de culture, trains, avions etc… Ce sont d’ailleurs surtout les jeunes qui prennent des rendez-vous et non pas les personnes les plus à risques. C’est donc une prise de rendez-vous pour de mauvaises raisons. Pour éviter la sanction et non pas par conviction. Cela met à mal la démocratie sanitaire et la capacité à convaincre par des arguments plutôt que par la menace.
On ne peut pas vraiment dire que les restrictions de liberté liées au Pass Sanitaire constituent un précédent après avoir vécu le confinement généralisé. Le précédent, en revanche, c’est la fracture que cela provoque dans le pays, le tri dans l’accès aux lieux entre les personnes vaccinées et les personnes non vaccinées. L’alternative offerte peut être ainsi résumée : soit vous êtes vacciné, soit vous êtes empêché de participer et donc, en quelque sorte, reconfiné. Permettre ou non d’accéder à un lieu selon la présentation de données sanitaires nous fait basculer dans une société inédite. Celle du contrôle permanent.
Avec une méthode pareille, le risque de la fracture entre vaccinés et non vaccinés est réel, brisant l’unité indispensable dans la lutte contre la pandémie.
D’un côté, les vaccinés, et plus spécialement ceux qui n’ont pas attendu les annonces de lundi soir pour y passer. En se vaccinant, ils veulent se protéger, protéger leur entourage et pensent protéger la société de nouvelles restrictions de liberté de type confinement. Souvent, ils disent « je me fais vacciner pour éviter un nouveau confinement généralisé. Je me fais vacciner pour notre liberté » et ajoutent « je n’aimerais pas devoir être reconfiné à cause de ceux qui ont refusé de se faire vacciner ».
De l’autre, les non vaccinés parmi lesquels on retrouve ceux qui ne sont pas nécessairement réfractaires au vaccin mais estiment, compte tenu de leur âge, de leur santé, de leur niveau de respect des gestes barrières que le bénéfice de la vaccination est faible, ceux qui n’ont pas encore pris le temps, ceux que le vaccin inquiètent véritablement et le nuancier va jusqu’aux anti-vaccins qui, il faut le rappeler, sont une minorité, parmi lesquels pas tous mais certains défendent des thèses conspirationnistes. Quoi qu’il en soit, le doute est légitime. On a le droit de douter. La liberté de conscience est la seule qui ne connaisse pas de limite.
Parmi les opposants au Pass Sanitaire, on trouve des vaccinés et des non vaccinés, que ces derniers soient ou non antivax. Or, depuis l’allocution d’Emmanuel Macron, toute opposition au Pass Sanitaire est suspectée d’être antivax.
Avec un débat public à ce point dégradé, il n’est plus possible de réfléchir et de débattre sur nos objectifs face à la pandémie et les meilleurs moyens de les atteindre. Or c’est bien là l’essentiel.
Sans être ni médecin, ni scientifique, de quels éléments dispose-t-on à cette heure pour prendre des décisions politiques ?
1) Que le variant Delta est bien plus contagieux et qu’il se propage à grande vitesse.
La 4ème vague de l’épidémie est déjà là.
2) Qu’alors que les contaminations progressent fortement, les hospitalisations ne suivent pas la même ascendance. Ce qui semble confirmer l’idée que le variant Delta, s’il est beaucoup plus contagieux, est aussi possiblement moins dangereux pour les personnes qui ne sont pas à risques de formes graves. Il touche davantage les jeunes, certes, mais sous des formes moins graves que beaucoup qualifient de « mauvais rhume ».
3) Qu’on ne connait pas les effets à long terme du virus. Le virus reste relativement peu connu. Il y a des affections symptomatiques longues (perte de goût et d’odorat, difficultés respiratoires…) et des possibles séquelles à plus long terme.
4) Que le vaccin est efficace pour éviter les formes graves nécessitant des hospitalisations, qu’il diminue le risque de contamination mais n’évite pas la circulation du virus. En effet, dans les pays qui ont le plus vacciné, les contaminations progressent à nouveau, y compris parmi la population vaccinée, mais le plus souvent dans des formes bénignes. Etre vacciné ne garantit pas de ne pas être contaminé ni de ne pas transmettre le virus. On ne peut donc pas substituer le vaccin aux gestes barrières et à la poursuite de la politique « tester – tracer – isoler ». On ne connait pas non plus les effets à long terme du vaccin, même si l’on sait que les effets secondaires d’un vaccin surviennent généralement pendant la période d’immunisation, dans les quinze jours après la vaccination. La campagne de vaccination a démarré il y a de nombreux mois, plus de 3 milliards de personnes dans le monde ont déjà reçu au moins une dose. Les effets secondaires graves existent mais ils sont rares.
5) Que les formes graves de la Covid continuent de concerner spécialement les personnes âgées de plus de 60 ans, les personnes atteintes de comorbidités (autres pathologies), les personnes obèses. Les jeunes ont un risque extrêmement faible de développer une forme grave.
Sur la base de ces seuls cinq points qui ne sont pas exhaustifs, on devrait pouvoir discuter la stratégie du gouvernement et la proportionnalité des mesures extrêmement restrictives qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer pour tous les Français dès l’âge de 12 ans.
Nous sommes le pays des Lumières, de la science, de Louis Pasteur. Le vaccin est assurément une partie de la solution. Depuis la disponibilité d’un vaccin, avec Jean-Luc Mélenchon, nous avons toujours dit que le vaccin serait une arme indispensable dans l’arsenal contre le virus. Nous avons même été les premiers à réclamer la levée des brevets pour refuser que l’on fasse des profits sur la pandémie et permettre que le vaccin soit libre. La pandémie est mondiale. Tant que durera la fracture vaccinale entre les pays riches et les pays pauvres, nous ne viendrons pas à bout de celle-ci. Cette fracture vaccinale existe aussi sur notre territoire où la carte de la vaccination se superpose à merveille avec la carte des niveaux de revenus.
L’Organisation Mondiale de la Santé suggère de convaincre plutôt que de contraindre à la vaccination. La France est l’unique pays d’Europe, et l’un des rares dans le monde, à prendre de telles mesures contraignantes.
Pour éviter les hospitalisations, les décès et les formes graves du Covid, il semble nécessaire de tendre vers 100% de vaccination pour les personnes à risque : plus de 60 ans, comorbidités, obèses.
Pour toutes les autres personnes, c’est sensiblement différent : s’il s’agit de convaincre de l’utilité de se faire vacciner, il faut bien admettre que les arguments en faveur de la vaccination relèvent alors davantage du collectif (en complément des gestes barrières, le vaccin est une arme efficace pour limiter la circulation du virus et donc éviter un potentiel reconfinement) que de l’individuel (éviter les formes graves mais elles sont plus rares chez les personnes qui ne sont pas à risque, se prémunir des Covid longs…).
Or la politique de Macron quant à la vaccination Covid ne fait pas de différence entre la personne de 80 ans atteintes de comorbidités et la personne de 12 ans en pleine santé pour qui la balance bénéfices/risques du vaccin n’est absolument pas la même.
Le déremboursement des tests PCR annoncé par Macron pour la rentrée dans le but de pousser à la vaccination est une très grave erreur. Quand l’OMS disait que la bonne solution c’était « tester, tester, tester », le gouvernement a eu, comme sur tous les sujets, un sévère retard à l’allumage avant de s’y résoudre. On ne peut pas se passer des tests pour lutter contre la pandémie, même équipés d’un vaccin dont on sait qu’il n’empêche pas la contamination bien qu’il la diminue. Dérembourser les tests PCR, c’est aggraver la fracture sociale contre le virus : les plus pauvres en pâtiront le plus. De plus, en termes de risques de circulation du virus dans un lieu public ou un événement, avoir un test PCR négatif en guise de « Pass Sanitaire » est beaucoup plus sécurisé que d’être vacciné. Un « Pass Sanitaire » entre vaccinés permet de se retrouver entre personnes dont le risque de contracter une forme grave du virus est faible, mais pas d’être entre personnes qui ne portent pas le virus et ne risquent donc pas de le transmettre, contrairement au test PCR négatif. Il faut continuer à tester massivement la population qu’elle soit vaccinée ou pas. Les tests doivent donc rester gratuits. Pour éviter les tests de confort sans obliger à la vaccination, et ainsi rester dans les clous des conseils de l’OMS, on pourrait par exemple exiger que toute personne subissant un test PCR reçoive une information complète sur la vaccination.
A ce stade, pour lutter contre la Covid-19, il n’est pas vrai que les seules solutions soient l’extension du Pass Sanitaire et les restrictions de libertés ou l’obligation vaccinale.
Il faut poursuivre les gestes barrières, tester, tracer, isoler (et accompagner l’isolement), vacciner (en convainquant plutôt qu’en obligeant, en menant de grandes campagnes massives d’information et en rendant toujours plus accessible la vaccination à ceux qui en sont le plus éloignés) et développer les alternatives au confinement que nous proposons avec Jean-Luc Mélenchon depuis plus de neuf mois (généralisation des purificateurs d’air, roulements, réquisitions etc…).
La solution thérapeutique est absente du débat public. Où en sommes-nous de la disponibilité d’un traitement contre le Covid en France ? De même, il faut des moyens supplémentaires pour l’hôpital. Où sont-ils ?
On peut donc être favorable au bon usage proportionné de la vaccination et s’opposer à juste titre au Pass Sanitaire. Mais on ne peut pas le faire en 140 caractères.
De tout cela, on doit pouvoir débattre. Mais le débat n’est plus possible dans cette monarchie présidentielle où le rôle du parlement est réduit à voter pour ou contre les mesures que le Président de la République a décidé tout seul, comme il a décidé le retour de la réforme des retraites et de l’assurance chômage.
Pour lutter efficacement contre la pandémie aussi, la monarchie présidentielle est un frein. Elle doit être abolie.