Cette interview a été publiée dans Libération le vendredi 26 novembre 2021
- On s’est rencontrés après votre premier discours à l’Assemblée nationale, contre les ordonnances travail, en juillet 2017. Un épisode qui vous a révélé pour le grand public. N’avez-vous pas pris la grosse tête à ce moment-là ?
Le rythme intense de ces cinq années ne m’a pas permis de prendre du recul sur ce qui m’arrivait. Du jour au lendemain, je suis passé de conseiller clientèle sur un plateau téléphonique et bénévole engagé dans l’action politique à député et porte-parole médiatique. Un nouveau poste de combat, en quelque sorte. L’action associative auprès des personnes sans abri ne me suffisait plus. Mais je n’aurais pas rejoint le combat politique si je n’avais pas croisé la route de Jean-Luc Mélenchon. A l’époque, le terme de «République» dans la bouche des dirigeants politiques me faisait l’effet d’une leçon de morale sans contenu. Lui y donnait du sens. Aujourd’hui encore, dans un débat politique qui m’apparaît complètement déboussolé, il est le seul à tenir fermement ces principes sans varier. Liberté, égalité, fraternité, c’est un programme politique.
- Quelques semaines avant, on vous avait vu faire votre entrée au Palais Bourbon avec les seize autres députés insoumis. En bande et avec l’idée de parler surtout au-delà des murs de l’Assemblée. Metoo, gilets jaunes, jeunesse mobilisée pour le climat… La politique ne se fait-elle pas de plus en plus sans les politiques ?
La politique ne se résume pas aux politiques. Ces mouvements, c’est de la politique. Nous avons soutenu et participé au mouvement des gilets jaunes parce que leur colère était juste et parce que nous étions en accord avec leurs revendications sur le partage des richesses et la nécessité de refonder nos institutions qui figuraient déjà dans notre programme de 2017. D’ailleurs, si beaucoup de gilets sont retournés dans les boîtes à gants, la France des délaissés, qui revendique de pouvoir vivre dignement de son travail, est toujours bien là. J’entends le gouvernement, satisfait, dire que tout va bien ou presque. C’est de la folie… 8 millions de personnes ont besoin de l’aide alimentaire, 12 millions de personnes qui subissent la précarité énergétique ont froid chez elles et il y a plus d’inscrits à Pôle Emploi qu’au début du quinquennat. La France d’Emmanuel Macron est un océan de pauvreté au milieu de quelques îlots de richesse toujours plus concentrée. Partager les richesses pour éradiquer la pauvreté sera notre priorité : personne ne doit vivre avec un revenu inférieur à 1 000 euros et nous porterons le smic à 1 400 euros net. De même, l’emploi est un droit. Nous le rendrons effectif en instaurant la garantie d’emploi. Il y aura tant de tâches à accomplir avec la planification écologique que nous allons engager. J’alerte : l’élection présidentielle est dans moins de cinq mois. C’est demain. Il est temps de se réveiller.
- On était au siège de LFI, en 2018, le jour des perquisitions. On a eu l’impression que vous étiez sonné par ce qui arrivait et par la colère de Jean-Luc Mélenchon. Ce jour-là ou à d’autres moments, avez-vous douté de lui ?
L’épisode a été traumatisant, c’est vrai. Je l’ai vécu comme une agression, une profonde injustice, et je le crois toujours. Quand je vois mes amis mis en cause, j’enrage. Je mesure mes mots : arguments à l’appui, je maintiens qu’il y a une instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Les images de ce matin-là aussi ont été utilisées pour faire de la politique. Sa réaction a été perçue très différemment selon la sociologie des gens interrogés. Dans les milieux populaires, personne ne me parle d’un problème de caractère. Cela ne revient que dans les milieux plus favorisés qui ne comprennent pas qu’on hausse le ton face à une injustice. Je connais Jean-Luc Mélenchon. Ce matin-là, il a décidé de faire paratonnerre pour tous les membres de notre mouvement qui ne méritaient pas un tel traitement. Derrière le combattant politique, il y a un homme, fait comme il est, avec ses défauts et ses qualités. Lisez et discutez plutôt notre programme car, outre que nous sommes les seuls à en avoir un à cinq mois de l’élection, toutes les trouvailles à venir de nos concurrents ne seront qu’une pâle copie de ce document. Jean-Luc Mélenchon tient fermement les marqueurs de gauche quand d’autres cèdent à la moindre difficulté. Nous incarnons une ligne de rupture, pas d’accommodement.
- Comment expliquez-vous que La France insoumise n’a pas réussi à rassembler plus largement lors du quinquennat ?
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Nous avons proposé à deux reprises, en 2018 et 2019, la fédération populaire. C’était dans vos colonnes. Aux régionales, parce que nos désaccords nationaux comme sur les traités européens n’étaient pas en cause dans cette élection, nous avons proposé de nous retrouver autour d’un socle programmatique commun. Jean-Luc Mélenchon a même proposé à EE-LV de les soutenir dans cinq régions contre une seule enréciproque et ils n’en ont pas voulu. Vous l’avez oublié ? Pas moi. L’unité, c’est pour les caméras. En coulisses, le plan, c’est d’en finir avec Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise. Peine perdue.
- Il y a surtout des désaccords sur le fond.
C’est vrai. On ne va pas mentir aux gens : par exemple, Hidalgo et Jadot ne veulent pas de la retraite à 60 ans. Nous y tenons. On fait comment ? De même, il n’y a pas de rupture possible sans remise en cause des traités européens. Même nos amis communistes, avec qui nous aurions toutes les raisons de poursuivre le chemin engagé depuis 2012, ont l’air de tenir à retrouver leur score de 2007. Sommes-nous les seuls à considérer que cette élection présidentielle peut être gagnée ? Puisque l’union des partis semble impossible, elle se fera à la base. Nous sommes en train de bâtir l’Union populaire avec pour priorité la mobilisation des abstentionnistes. Dimanche 5 décembre, lors de notre meeting à Paris, nous installerons notre parlement de l’union populaire. A la fin, les femmes et hommes de gauche qui hésitent utiliseront le bulletin de vote efficace.
- On vous a vu en 2019, prendre la tête de LFI, à à peine 29 ans. N’êtes-vous pas sur les rails d’une carrière d’apparatchik ?
Si j’avais eu l’ambition d’une carrière, j’aurais commencé par faire les écoles dans lesquelles passent tous les jeunes qui ont ce souhait. Il n’y a pas besoin de cela pour faire de la politique, nous l’avons démontré. Les choses sont allées vite pour moi, c’est vrai, mais sans plan. En 2017, je quitte mon poste payé au smic pour aller me battre à l’Assemblée. En 2019, j’ai remplacé à deux reprises Jean-Luc Mélenchon dans un grand débat télévisé avec les principaux chefs de parti, alors que je n’étais pas encore coordinateur de La France insoumise. Aujourd’hui à la place que j’occupe, comme hier dans les maraudes que je faisais auprès des personnes sans abri, je me bats toujours pour la même chose et je me battrai jusqu’au bout.
- Le titre de votre livre «Génération Mélenchon», c’est une manière de lui rendre hommage car il a fait monter une génération. Et pourtant, c’est encore lui qui se présente.
C’est encore lui qui se présente parce que nous l’avons décidé collectivement et parce que c’est encore lui le meilleur pour atteindre l’objectif visé. Les femmes et hommes politiques ne sont pas des pions interchangeables. J’ai fait le test lors d’une étape de nos caravanes populaires de citer un candidat concurrent pourtant très médiatique : les gens ne le connaissaient même pas ! Le nom de Mélenchon, lui, résonne comme un programme politique. Une partie de la gauche attend patiemment son départ. Mais en dehors de lui aujourd’hui, il n’y a rien qui tienne la mer. Il dit que ce sera sa dernière élection présidentielle. Certains s’en réjouissent. Ce qui compte, c’est que le peuple s’en saisisse. Notre premier adversaire, c’est la résignation. Les élections sans le peuple, c’est leur rêve. Nous n’allons pas laisser faire.
- Plus qu’un portrait de vous, votre livre est un fervent hommage à Jean-Luc Mélenchon. Arrivez-vous à vous émanciper de cette figure tutélaire ?
Pour quoi faire au juste ? C’est lui qui marche devant et nous sommes collectivement engagés dans une bataille décisive. Je ne vais pas me forcer à être en désaccord pour me singulariser et raconter des histoires alors que nous pensons pareil. Il y a le politique mais, j’assume, il y a aussi une part d’intime et de personnel. C’est la rencontre avec lui en 2012 qui m’a fait passer à l’action. Notre relation est quasi filiale. Je suis le compagnon de route d’un homme qui a voué sa vie au combat des idées. Je perçois mieux aujourd’hui les sacrifices qu’il a faits, sans lesquels il n’y aurait plus de gauche dans ce pays.
- Est-ce un «sacrifice» d’avoir été élu pendant plus de trente ans ?
Je ne parle évidemment pas des conditions matérielles de l’existence. Je parle du courage qu’il a eu d’assumer des ruptures, de refuser des conforts de situation pour rester fidèles à des idées. Il fallait du courage pour quitter le Parti socialiste et repartir de zéro en 2008 après trente ans d’engagement. J’ai 31 ans, je suis père de famille, je sais maintenant ce que coûte l’action politique sur le plan personnel. Je pense souvent à ce que l’on doit ressentir quand on se retourne et qu’on a consacré toute sa vie au combat des idées.
- Serez-vous candidat aux législatives ?
Je m’y prépare, mais ça n’est pas encore le moment d’en parler. La première fois que je suis entré dans l’hémicycle, je me suis fait la promesse de ne jamais banaliser le fait de représenter les gens. Si vous arrivez à l’Assemblée nationale avec un sentiment de routine comparable à une arrivée au bureau, il faut passer à autre chose. Ce n’est pas mon cas. Je veux continuer à me battre pour ceux que je représente. En attendant, je désespère de les voir tous à gauche considérer la bataille déjà perdue et préparer l’après. L’après, c’est trop tard. Dans cinq mois, si la masse du peuple est au rendez-vous, nous gouvernerons ce pays et mon rôle sera encore tout autre.