Terrorisme islamiste : ceux qui ont gouverné ces dernières années nous attaquent pour mieux masquer leurs responsabilités – Interview dans L’Express

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Cette interview a été publiée dans L’Express le mardi 20 octobre 2020 – Propos recueillis par Erwan Bruckert

Qu’avez-vous à répondre à Manuel Valls qui, rejoint par beaucoup de dirigeants à droite comme à gauche, a déclaré sur BFMTV : “Jean-Luc Mélenchon a une très grande complicité, une très grande responsabilité dans cette lâcheté d’une part de la gauche [dans le combat contre l’islamisme radical]” ?

Face au terrorisme islamiste, il faut être unis et fermes. Un franchissement de seuil a eu lieu ce week-end. Contrairement aux attentats précédents perpétrés sur le sol français, nous n’avons pas eu droit à l’unité nationale pourtant due à la victime, ses proches et l’ensemble des enseignants après cet horrible assassinat commis par un terroriste islamiste. Cette unité est pourtant une nécessité face à l’adversaire.

Les terroristes islamistes ont depuis longtemps théorisé que l’un de leurs objectifs politiques est d’obtenir, en réaction aux attentats, un clivage au sein de la nation entre les musulmans et le reste de la population. Se diviser dans un moment qui exige l’unité, c’est offrir un point supplémentaire aux terroristes. C’est ce qu’a fait l’extrême droite dans les minutes qui ont suivi l’annonce de l’attentat, renforcée avant même les rassemblements de dimanche après-midi par les sorties médiatiques toutes plus indignes les unes que les autres de Manuel Valls, Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve, visiblement plus occupés à lutter contre Jean-Luc Mélenchon que contre les terroristes islamistes.

Les trois, et ils ne sont pas seuls, nous collent injustement sur le front l’étiquette “islamo-gauchiste” comme on coud un badge à la mode sur un sac à dos sans que jamais le journaliste qui les interroge ne leur demande d’argumenter pour étayer leur propos ou justifier ce qui nous ferait mériter ce qualificatif. Une diversion trop facile pour mieux masquer leurs propres responsabilités. Car jusqu’à preuve du contraire, Jean-Luc Mélenchon n’a pas gouverné le pays ces deux dernières décennies, mais eux oui !

Par conséquent, les responsables de l’état de la menace terroriste dans notre pays sont davantage du côté des Valls, Cazeneuve, Bertrand et Macron que chez Jean-Luc Mélenchon ! Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon mais Manuel Valls qui a signé des accords à coups de milliards avec l’Arabie Saoudite. Ce n’est pas La France insoumise mais l’extrême droite qui a armé le terroriste qui a frappé l’Hyper Cacher. On continue la liste ou ça suffit ? Parmi ceux qui nous qualifient d’islamo-gauchistes, certains se sont vautrés allègrement dans le clientélisme pour leurs petites places alors que nous autres, les Insoumis, refusons par exemple qu’un parlementaire en fonction participe à une cérémonie religieuse. Qu’ils balayent donc tous devant leur porte car, si besoin est, nous pourrons leur rafraîchir la mémoire !

Manuel Valls mesure-t-il la portée de ses propos lorsqu’il laisse entendre en répondant à un média, depuis la place de la République où nous sommes rassemblés, que Jean-Luc Mélenchon aurait une “responsabilité” dans la situation ? Un professeur s’est fait décapiter, bon sang ! Ces gens sont irresponsables et dangereux de régler leurs comptes politiciens en attisant les tensions sur le dos des morts.

Vos détracteurs donnent des arguments : il vous est notamment reproché d’avoir participé à la manifestation contre l’islamophobie, aux côtés du Comité Contre l’Islamophobie en France (CCIF). Vous-même n’êtes pas entièrement d’accord avec le terme…

Disons les choses, une bonne fois pour toutes : quand Madame Mireille Knoll a été victime d’un assassinat antisémite, La France insoumise n’a pas hésité une seule seconde à participer à la marche en sa mémoire et à entourer sa famille de notre affection face à la haine antisémite. C’était une nécessité républicaine. Lors de cette marche, un groupuscule violent s’en est pris à des parlementaires de La France insoumise verbalement et physiquement, sous les yeux des membres du gouvernement et de parlementaires de la majorité qui n’ont pas bougé d’un pouce pour nous défendre.

Fallait-il ne pas y aller ? Si, il fallait y aller ! De la même manière, lorsqu’un attentat a lieu sur le sol français, contre la mosquée de Bayonne, c’est aussi un acte antipatriotique. Or, le gouvernement n’a pris aucune initiative pour riposter à cet attentat raciste perpétré par l’extrême droite. Une marche a été appelée, notamment par la CGT, la FSU et d’autres personnalités et organisations politiques comme André Chassaigne, Yannick Jadot et Benoît Hamon. Sans avoir participé à la rédaction de l’appel, La France insoumise a participé à cette marche en réaction à l’attentat de la mosquée de Bayonne.

Ceux qui reprochent à La France Insoumise sa présence à cette marche oublient systématiquement de préciser sa raison d’être. Cette marche a chanté la Marseillaise, acclamé la laïcité et le besoin de protection des musulmans. D’aucuns ont préféré focaliser leur attention sur la petite minorité non représentative de ceux qui se trouvaient là qui avait d’autres mots d’ordre et préoccupations. Nous ne les avons pas confondus avec le sens profond de la marche comme nous n’avons pas confondu le groupuscule violent qui nous a attaqués lors de la marche pour Madame Mireille Knoll avec la masse de ceux qui étaient venus, comme nous, exprimer leur refus de l’antisémitisme.

Nous sommes clairs et sûrs des principes républicains que nous défendons. Contrairement à ceux qui nous attaquent, nous n’avons pas la République et la laïcité à géométrie variable. Quand des concitoyens sont attaqués en raison de leur appartenance réelle ou supposée à une religion, nous sommes à leurs côtés, quelle que soit leur religion.

Mais il y a aussi d’autres arguments : Danièle Obono, qui n’avait “pas pleuré Charlie” après les attentats de 2015, qui fait dire à Richard Malka qu’on “ne peut pas être Obono et Charlie Hebdo”. Et plus récemment Jean-Luc Mélenchon qui s’en prenait à l’hebdomadaire satirique en affirmant qu’il a des méthodes “d’extrême droite” et qu’il est un bagagiste de Valeurs Actuelles…

Je sais que la rédaction et l’entourage de Charlie Hebdo sont divers. Compte tenu de l’importance qu’ont eue les membres de la rédaction de Charlie Hebdo dans mon engagement en politique, ces propos radicaux et définitifs contre La France insoumise font mal. En 2015, quand les attentats ont eu lieu, je travaillais comme conseiller clientèle sur un plateau téléphonique et, chaque mercredi sur mon bureau, il y avait Charlie Hebdo. Ils étaient de tous les combats antiracistes, contre le mal logement, ils ont même participé aux campagnes qui proposaient d’interdire le Front national. Je peine à imaginer l’environnement dans lequel évoluent ces gens à présent. Ce qu’ils ont vécu est tellement violent. Vivre sous protection policière en permanence doit être difficile. Chaque attentat doit rouvrir des cicatrices profondes. Dès lors, la discussion apaisée peut être rendue difficile.

Mais je défie quiconque de trouver dans les rangs des élus insoumis quelqu’un qui serait ambigu sur notre fermeté face à l’islamisme politique. Aussi, quand Jean-Luc Mélenchon a interpellé Marianne, Charlie hebdo et Valeurs Actuelles face aux attaques racistes dont faisait l’objet Danièle Obono, ce n’était pas pour dresser un signe égal entre ces rédactions mais pour dire en substance, “attention à la manière dont vous traitez Danièle Obono”. Le quotidien de cette femme, élue de la République, ce sont les menaces et les attaques racistes. Il n’est pas bon de laisser penser que les victimes de racisme seraient en quelque sorte les coupables. Nous sommes les partisans de la paix civile. Et les propositions de La France insoumise pour faire face aux fanatismes, à l’obscurantisme et aux terroristes islamistes sont plus conséquentes et opérationnelles que les surenchères et autres effets de tribune des donneurs de leçons.

Il y a un an, vous me disiez : “À La France insoumise, on ne demande pas de brevet de laïcité. Parmi les figures du mouvement qui sont décriées sur ce terrain-là, voyez quand même leur évolution dans leurs discours et leurs prises de position. Quelque part, ça infuse…” Cela veut bien dire que vous étiez conscient que, dans ce mouvement, il y a des figures qui ont la laïcité, la République, la lutte contre le communautarisme moins chevillées au corps que vous…

La France insoumise est un mouvement. Ce n’est pas un parti organisé en “tendances” et “courants”. Oui, nous sommes divers. Ce qui nous lie et fait accord entre nous s’appelle un programme. C’est “L’Avenir en Commun”, fort de 7 millions de voix à la dernière élection présidentielle. C’est ce programme que chacun de nous défend. Quand nous gouvernerons le pays, c’est ce programme que nous appliquerons. Et personne ne saurait défendre que ce programme serait “flou” ou “ambigu” sur la République et la laïcité. Il est sans doute le plus clair en la matière de toute l’offre politique en France.

Une fois cela dit, oui, il y a parmi nous des gens qui viennent d’horizons différents et pour qui ces sujets sont plus ou moins inscrits dans leur histoire politique personnelle. Par exemple, pour ma part, je viens du Parti de gauche qu’a fondé Jean-Luc Mélenchon en 2008 et il est certain que sa colonne vertébrale en matière de républicanisme et de laïcité est spécialement solide. Ce qu’il y a d’important, c’est qu’en travaillant ensemble nous avons créé une culture commune. Je regrette que l’honnêteté intellectuelle ne soit probablement pas en mesure de convaincre Richard Malka mais, quand il condamne définitivement Danièle Obono en soutenant qu’on “ne peut pas être Danièle Obono et Charlie Hebdo”, je ne peux que l’inviter à un peu de souplesse, à ne pas s’en tenir à des mots passés extirpés de leur contexte et à écouter, par exemple, les récents discours de Danièle face aux racistes qui l’attaquent. C’est non seulement digne, mais très républicain.

Votre formation a critiqué le discours contre le séparatisme islamiste d’Emmanuel Macron aux Mureaux. N’êtes-vous pas d’accord pour dire que le premier des obscurantismes – puisque vous préférez ce mot – qui menacent la République est bel et bien celui-ci ?

Si l’on veut parler de séparatisme, il faut mettre le mot au pluriel. Bien sûr que l’obscurantisme ou les terroristes islamistes sont des menaces pour la République et les attentats suffisent à l’établir. Mais est-ce la seule ? La République n’est pas un régime neutre. La devise républicaine est un programme en soi, toujours inappliqué. Liberté, Égalité, Fraternité ne se vérifient pas partout en France.

Par exemple, et sans vouloir faire diversion avec le sujet principal qui nous occupe, le séparatisme des très riches est encouragé par la politique de Macron ! Ils se sont enrichis considérablement pendant la crise sanitaire alors que la pauvreté dans notre pays atteignait des records jamais atteints depuis la seconde guerre mondiale, ils vivent de plus en plus reclus dans leurs ghettos de riches, ont leurs cliniques privées, se “séparent” en fait du reste de la société, n’est-ce pas une menace pour l’égalité républicaine ? Nous regrettons donc que le discours d’Emmanuel Macron sur “les séparatismes” soit finalement devenu le discours sur “le séparatisme” et en l’occurrence un discours exclusivement réservé à la question de l’islamisme radical et de l’Islam tout court.

L’idée que, parce qu’il y a une offensive incontestable de l’islamisme radical, toutes les personnes de confession musulmane seraient suspectes n’est pas supportable. Les musulmans sont les premières victimes des terroristes islamistes à travers le monde. Quand un attentat comme celui qui a coûté la vie à Samuel Paty est commis, ce sont des millions de nos concitoyens qui souffrent de voir que cet acte est commis au nom de Dieu dont ils ne voient pas ce qu’il vient faire dans cette barbarie.

N’y a-t-il tout de même pas des mesures avec lesquelles vous êtes d’accord ?

Avec mon collègue Alexis Corbière, nous avons rencontré le ministre Gérald Darmanin, qui consultait les formations politiques avant l’ouverture des débats sur ce projet de loi. Je peux vous dire qu’il y aura un certain nombre de propositions du gouvernement avec lesquels nous serons d’accord. Par exemple, s’agissant de la connaissance nécessaire des financements étrangers ou sur les écoles hors contrat. Depuis, la loi a changé de titre. Le ministre nous a dit qu’elle s’appellerait “pour le renforcement de la laïcité”. La plupart de ceux qui utilisent la République et la laïcité à longueur de discours sont incapables de les définir clairement.

La laïcité, ce n’est pas un athéisme d’État, ni un joli mot pour masquer la détestation d’une religion. La laïcité c’est un ensemble de principes, un mode d’organisation de la mise à distance du religieux et du politique. La République ne reconnaît aucun culte. Non pas qu’elle les méprise, mais ça n’est pas son sujet. Son sujet c’est de faire appliquer les lois de la République, sans distinction envers les citoyens ou les religions. La religion relève des vérités révélées. C’est un sujet, par définition, pour lequel l’épuisement des arguments ne suffirait pas à nous mettre d’accord. C’est pourquoi la laïcité sépare la politique de la religion. Pas de religion en politique, pas de politique en religion.

Comptez sur La France insoumise, mouvement républicain et laïque, pour faire des propositions lors du débat parlementaire pour renforcer la laïcité comme vous n’en avez pas idée ! J’espère qu’à ce moment-là, vous irez interroger les “ambigus”, les “complaisants” et les “flous” dans le camp d’en face !

Peut-on avoir un aperçu de ces propositions ?

Pour ne citer qu’un exemple : la loi laïque par excellence est la loi de 1905. Est-ce que ceux qui prétendent “renforcer la laïcité” seront d’accord pour qu’on l’applique sur l’ensemble du territoire et donc que l’on abroge le concordat d’Alsace-Moselle ?Nous allons avoir, j’en suis sûr, des débats passionnants qui procéderont de clarifications salutaires.

Mais avez-vous dans votre arsenal des mesures concrètes pour lutter contre l’islamisme radical ?

Plein. Mais avant de légiférer à nouveau, nous avons besoin de moyens matériels et humains supplémentaires pour appliquer les lois existantes. La loi permet déjà de fermer un lieu de culte pour cause de radicalisation. La loi permet déjà de dissoudre des associations. Il faut donner à la police des moyens d’investigation supplémentaires, nous doter d’une véritable police judiciaire avec des moyens d’enquêter. On devrait renouer avec des pratiques qui ont fait la preuve de leur efficacité comme l’infiltration. Pour cela, il faut des moyens.

Lutter contre le grand banditisme et contre le terrorisme, c’est plus difficile que de faire la chasse aux consommateurs de drogue pour la politique du chiffre qui rapporte des primes sans aucun effet concret sur le trafic. Les premiers éléments de l’enquête concernant l’attentat de Conflans sont édifiants : comment se fait-il qu’un individu connu des services de renseignements soit reçu par le collège pour y proférer des menaces après le cours donné par ce professeur d’Histoire ? Comment se fait-il que pendant plus d’une semaine, Monsieur Samuel Paty ait pu être pris pour cible sur les réseaux sociaux, sans que rien n’ait été mis en place pour le protéger ?

Enfin, et parce que comprendre ne veut pas dire excuser, nous devons nous interroger sur les raisons qui font que, parfois, ce sont des enfants de la République qui cèdent aux sirènes des fanatiques. Emmanuel Macron a parlé de “terreau social” favorable. Je suis d’accord. Mais comment ne pas voir que sa politique en faveur des plus riches depuis ces trois dernières années aggrave cette situation ? N’est-ce pas Emmanuel Macron qui a jeté à la poubelle le rapport Borloo ? N’est-ce pas Emmanuel Macron qui a décidé de mettre fin aux contrats aidés qui étaient indispensables pour tant d’associations ? Quand les services publics reculent ou disparaissent des quartiers, quand les associations mettent la clé sous la porte faute de moyens, quand les discriminations vécues par nos concitoyens, par exemple à l’embauche, ne sont pas combattues comme il se doit, quand l’horizon paraît bouché, c’est la République qui recule.

Et c’est notamment sur ces reculs que progressent opportunément les fanatiques qui présentent aux plus jeunes des promesses de considération et d’accomplissement de soi en convoquant, comme on l’a vu parfois, jusqu’à l’imaginaire des jeux vidéo ! Tout cela est désastreux et c’est notre devoir de le regarder en face.

À titre personnel, souhaiteriez-vous la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France ?

Il n’y a pas de place pour l’arbitraire et le “à titre personnel” là-dedans. La France est une démocratie et un État de droit. Avons-nous l’intention d’y renoncer face à la menace des terroristes islamistes ? Si le ministre Darmanin dispose d’éléments permettant d’établir le lien entre cette association et les menaces contre Monsieur Samuel Paty ayant conduit à son assassinat, alors il doit les dire et il faut la dissoudre. Si ce n’est pas le cas, sur quelle base le ferait-il ? Faisons respecter les lois de la République en toutes circonstances.

“Il y a un problème avec la communauté tchétchène en France” : a déclaré Jean-Luc Mélenchon. Vous demandez souvent, à juste titre, de ne jamais essentialiser, et c’est pourtant le cas ici. Comment le comprendre ?

Jean-Luc Mélenchon a reconnu une erreur dans l’usage du terme “communauté” en sortant de cette émission. Ce qu’il a voulu dire c’est qu’entre les attaques armées à Dijon et l’attentat de Conflans, il y a visiblement un sujet à creuser pour nos services de renseignements. Il ne s’agit d’ailleurs pas de viser spécifiquement tel ou tel mais d’appliquer la loi. La loi permet d’éloigner des personnes étrangères du territoire en cas d’atteinte grave à la sûreté de l’État.

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